Du plaisir dans une calèche

La calèche

La première fois que j’ai vu Fiona, je n’en ai pas cru pas mes yeux. De longues jambes fuselées, une jupe relativement courte, mais encore sage, corsage et veste trois-quarts, foulard Hermès et coupe au carré sous un parapluie vert. C’était à Versailles, le temps était couvert. Nous nous étions donné rendez-vous non loin du château, et lorsque j’ai aperçu cette jolie femme marcher dans ma direction, j’ai douté être l’heureux élu. Il n’y avait pourtant pas le moindre bellâtre aux alentours, et Fiona s’est bien plantée devant moi.

Du plaisir dans une calèche

– Vagant ?

– Bonjour Fiona, enchanté, lui dis-je simplement en lui faisant la bise.

– J’ai de la chance, me répondit-elle, pour une fois que je ne tombe pas sur un pot à tabac.

– Je n’imaginais pas qu’une si jolie femme fasse une telle collection.

– Oh, si tu savais ce qu’on rencontre, parfois…

J’avais croisé Fiona sur le site d’un magazine féminin en ligne, à une époque où les forums de discussion tenaient lieu de réseau social, et quand la plupart des internautes étaient encore des hommes. Je sévissais tout particulièrement sur les pages dédiées aux aventures amoureuses. J’étais encore marié et je trouvais là des complices d’adultère entre deux diatribes avec des épouses trompées. J’ai toujours préféré la discussion ouverte aux fiches fermées des sites de rencontre spécialisés. Quand je poursuivais une femme de mes assiduités, il arrivait souvent que mes mots d’esprit en séduisent une autre. Le désir mimétique théorisé par René Girard ne s’applique pas qu’aux romans, mais prend corps dans la vie réelle pour peu qu’on essaie de la rendre romanesque. C’est ainsi que Stella, ma toute première « aventure », m’avait communiqué le désir des longues nappes blanches qui descendent jusqu’au sol, et à l’abri desquelles les pieds peuvent s’égarer en toute discrétion. Tel était l’enjeu de ma rencontre avec Fiona, avec laquelle j’espérais déjeuner dans un lieu propice à nos jeux.

Nous sommes entrés dans un restaurant chic, véritable institution versaillaise du gigot d’agneau. Malheureusement, la longueur des nappes et le piètement des tables ne semblaient pas autoriser toutes les privautés. Assis face à Fiona, je l’écoutais distraitement me raconter sa vie — séparée, un enfant, hôtesse d’accueil — tout en me demandant comment j’allais bien pouvoir donner à ce déjeuner un tour aussi sulfureux que nos échanges électroniques. Moyennant quelques contorsions, je suis tout de même parvenu à lui frôler la jambe, avec autant de douceur que mon désir était violent. Mon tibia titillait son mollet par en dessous, tandis qu’au-dessus, Fiona affichait une tranquille placidité. Soudain, j’ai senti un pied nu glisser entre mes cuisses écartées. Entre deux anecdotes innocentes, car Fiona ne laissait pas s’insinuer de longs silences coupables, il me semblait entendre le crissement de ses bas sur la laine de mon pantalon. Lorsque les extrémités de ses orteils ont atteint mon sexe, j’ai légèrement avancé mon bassin pour mieux sentir la pression de son pied sur mon érection. J’ai envisagé d’ouvrir ma braguette pour ressentir la caresse du nylon de ses bas sur ma queue turgescente, mais les nappes étaient définitivement trop courtes pour courir un tel risque. Je ne sais toujours pas par quelle magie Fiona est parvenue à relever ce défi, et je me demande parfois si je n’ai pas rêvé tant elle apparaissait réservée. Je n’ai pas osé lui prendre la main. Le cœur n’était pas en jeu dans notre rencontre clandestine.

Nous avions tout l’après-midi devant nous, et j’ai proposé à Fiona d’aller nous promener dans les jardins du château, malgré le temps maussade. Une fois encore, je crois que Stella, ma première maîtresse, n’était pas innocente de cette fantaisie. La lecture de ses invraisemblables galipettes au cœur du jardin des tuileries m’avait aussi donné l’envie de goûter aux ébats bucoliques. Quand la pluie s’est mise à tomber pour de bon, Fiona et moi étions sur le point de renoncer lorsque nous avons vu une calèche dédiée aux visites touristiques. Nous nous sommes engouffrés sous sa capote, sans trop nous préoccuper du parcours, qui nous laissait trente minutes à l’abri de la pluie et des regards ; et la lourde machine se mit en route. La palefrenière pouvait bien somnoler, sa rosse au pas connaissait le trajet. Moi je découvrais la saveur des lèvres de Fiona. Je me souviens que ma langue a tutoyé la sienne, et s’est perdue dans sa bouche alors que je retrouve le souffle de cette aventure.

Mes lèvres s’égarent à son oreille pour lui murmurer mon désir pendant que mes mains s’attaquent aux boutons de son corsage. Je dévoile son décolleté voluptueux. Ses mamelons tendus pointent sous la dentelle. Je l’esquive sans dégrafer son soutien-gorge, et je ne tarde pas à plonger mon visage entre ses seins pour lui lécher les tétons.

– Tu me fais bander ! lui dis-je entre deux succions.

– Toi aussi tu m’excites.

– Tu mouilles ?

– Je ne sais pas, il faudrait vérifier.

Accroupi entre ses jambes, je glisse une main sous sa jupe, qui remonte sur son bas, tout au long de sa cuisse fuselée jusqu’à la lisière de sa peau nue. Passé cette frontière, c’est le domaine des frissons. Mes doigts s’y engagent et atteignent la barrière de dentelle qui recouvre encore son pubis. Je l’écarte du bout des doigts et découvre à tâtons son jardinet taillé à la française. En dessous, sa vulve imberbe est aussi glissante que les contre-allées où nous nous engageons, au bord de l’eau, près du gazon.

Fiona reprend ses agaceries de la pointe du pied, et touche la bosse qui déforme mon pantalon. J’ai compris le message et lui présente mes hommages d’une main, l’autre enfoncée entre ses cuisses. Je me masturbe doucement, au même rythme que mes deux doigts fichés dans ses chairs ruisselantes, qui lui arrachent des gémissements couverts par les cahots de la calèche. Je pousse mon avantage jusqu’à glisser mon visage entre ses jambes amplement ouvertes. Fiona avance son bassin pour me faciliter la tâche de laper sa sève qui coule sur mes doigts, tout en frôlant à chaque coup de langue son clitoris qui bourgeonne sous mes yeux. Le printemps avant l’heure.

– J’ai envie de te prendre, maintenant ! lui dis-je entre deux lècheries.

– Non… pas ici… ce n’est pas possible… continue c’est bon !

– Quand ?

– Après demain.

– Pour la peine de m’avoir frustré, je te donnerai une bonne fessée !

– Tout ce que tu veux, je crois que je vais jouir.

– Tu m’attendras chez toi en nuisette les yeux bandés.

– Je mettrai une tenue de salope et tu me feras tout ce qui te plaira, mais ne t’arrête pas !

– Je pourrai t’enculer aussi ?

– Je ne sais pas… on essaiera… oui ! oui !

Nous nous sommes soudainement arrêtés devant le château, et c’est en pleine panique que j’ai croisé le regard goguenard de l’écuyère, dans le rétroviseur de la calèche.

VagantArticle écrit par Vagant

Vagant ne se prend pas au sérieux. Il n’en a d’ailleurs pas les moyens. Écrire n’a jamais été pour lui un besoin vital, mais une nécessité libidinale. Scientifique de formation, blogueur en dilettante et amateur de séduction épistolaire, il ne considère pas l’érotisme comme une fin en soi. À l’orée de la cinquantaine, il caresse aujourd’hui l’ambition d’utiliser le prétexte érotique pour explorer la confrontation psychologique des personnages sous les frôlements de leur chair.

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