La piscine – Partie 4

 

Quand je suis entrée dans le salon, Clémence regardait par la fenêtre en sirotant son café. Elle devait être debout depuis un moment, la pièce était à nouveau bien rangée après le champ de bataille de nos frasques laissé la veille. Une douleur lancinante dans ma tête me rappelait les verres de vin en surnombre. Un café me ferait également le plus grand bien.

Comme je le craignais depuis la seconde où j’avais ouvert les yeux, je me sentais extrêmement mal à l’aise. Clémence et moi avions passé toute une partie de la nuit à faire l’amour et c’était moi qui avais lancé le jeu. Je ne l’avais forcée à rien, mais elle avait Marc dans sa vie, et si elle s’en voulait de ce dérapage, elle reporterait sa colère contre moi à coup sûr.

Je me suis donc servie une tasse en silence, sans oser la regarder. Elle a vu que j’étais gênée, elle a attendu un instant avant de parler. Elle cherchait ses mots.

­— Ce qu’on a fait hier soir, c’était… Je suis très heureuse d’avoir expérimenté ça avec toi.

Je levais la tête, surprise, elle souriait à pleines dents. Je me suis jetée dans ses bras, en pleur. J’avais eu tellement peur d’avoir tout gâché. Comme à son habitude, elle a ri en me voyant dans cet état. Elle a plaisanté sur la situation, a fait une imitation parfaite de mon approche en « chaudasse » comme elle disait… Puis elle est redevenue sérieuse. Elle avait vraiment vécu une super aventure hier soir, mais elle préférait que cela reste entre nous. Elle n’avait aucune intention de quitter Marc ni de lui raconter quoi que ce soit.

J’ai juré que jamais je ne dévoilerais à personne son coup de langue de génie, et elle m’a poursuivie dans la maison en riant pour essayer de me museler avec un coussin.

Non seulement la canicule ne fléchissait pas, mais on avait même l’impression que le thermomètre poursuivait sa montée. La chaleur nous semblait chaque jour un peu moins supportable, et à la radio, on répétait inlassablement que les risques d’incendies étaient maximums.

Mais nous n’étions pas d’humeur à nous faire reluquer par le vieux au bord de sa piscine. La nuit avait été agitée, et nous voulions profiter du calme tranquille de l’oisiveté estivale la plus totale. Lecture, grignotage, mots croisés et douche glacée, voilà comment nous abordions l’emploi du temps de la journée.

En fin de matinée, j’étais donc en train de feuilleter un magazine dans le salon quand Clémence est venue me trouver.

­— J’aimerais que tu viennes voir un truc… C’est le voisin, il y a quelque chose de bizarre.

J’étais persuadée qu’elle préparait une blague quelconque mais comme j’étais d’humeur à lui faire plaisir, je l’ai suivie jusque dans le jardin, en restant malgré tout sur mes gardes.

Mais cela n’avait rien d’une plaisanterie. Depuis notre terrasse en hauteur, on devinait le vieux allongé dans son transat dans une posture étrange. On aurait pu penser qu’il dormait si son corps n’avait pas été tordu de cette façon, dans une position inconfortable qui n’allait pas avec le tableau de la piscine sous le soleil.

— On devrait aller voir…

Nous sommes sortis en trottinant jusqu’à la maison du vieil homme et après avoir poussé le portail entrouvert, nous avons rejoint le voisin allongé dans son transat. Il n’avait pas bougé. Nous l’avons secoué doucement, puis plus énergiquement, mais il ne réagissait pas. Alors nous avons pris de l’eau dans la piscine avec nos mains et nous avons arrosé son visage brulant. Il a vaguement remué la tête. Nous avons poussé un cri de soulagement à l’unisson. Pendant un instant, nous avions imaginé le pire.

— On ne peut pas le laisser là, il fait trop chaud. Il faut le rentrer à l’intérieur et appeler les secours.

L’homme était robuste et nous avons eu quelques difficultés à le porter, mais en passant ses bras autour de nos épaules, nous avons réussi à le trainer jusque dans sa maison. La première pièce qui nous tendait les bras semblait être une chambre d’ami, nous l’avons jeté sur le lit. Il a commencé alors à murmurer des phrases étranges. Son front était bouillant, il avait dû faire une insolation.

Clémence m’a ordonné de rester près de lui pendant qu’elle partait à la recherche du téléphone : je devais coûte que coûte le maintenir éveillé. J’ai rempli un verre d’eau dans la salle de bain attenante et j’ai tenté de le faire boire pendant que Clémence fouillait la maison à la recherche d’un téléphone.

Le vieil homme ne portait rien d’autre qu’un maillot de bain qui avait un peu glissé sur ses cuisses pendant qu’on le transportait. Les poils gris foncé de son sexe étaient dévoilés, et je me suis approchée pour remonter son short. Sa respiration était régulière, il semblait calme. Son corps était beau. Je ne l’avais jamais remarqué auparavant, mais il prenait indéniablement soin de son corps. Certes, on voyait que les années avaient pris leur part, mais ses muscles étaient encore visibles et les poils grisonnant apportaient un charme indéniable.

J’ai pris sa main dans la mienne et j’ai commencé à lui parler, pour m’assurer qu’il reste au moins dans cette semi-conscience. Et rapidement, des sons ont commencé à sortir de sa bouche. Un murmure d’abord inaudible puis plus distinct. Je me suis penchée au-dessus de lui, mon oreille presque collée à ses lèvres pour comprendre.

— Vous m’avez ensorcelé jeune fille. Depuis que vous avez dévoilé votre corps vibrant de plaisir à mes yeux, j’ai perdu la raison et les forces m’abandonnent.

Malgré sa faiblesse, sa voix restait assurée, le timbre chaud et doux. Il a continué à décrire l’effet qu’avait produit sur lui mes gestes, il a décrit chaque parcelle de mon corps comme s’il les connaissait par cœur, il associait chacune d’elle à un sentiment, une impression, une image… Il parlait sans s’arrêter, dans un flot continu qui caressait mes oreilles et j’ai fermé les yeux, bercée par sa voix suave aux accents infiniment érotiques.

Mon oreille était maintenant presque collée à ses lèvres, et je sentais sa langue rebondir parfois sur mon lobe. J’entrouvrais la bouche pour laisser ma respiration de plus en plus haletante s’exprimer à son aise. Et lentement, pour ne rien gâcher de l’intensité de l’instant tout en soulageant le désir qui me dévorait, j’ai pausé ma main sur son torse rendu brulant par la fièvre. Je caressais doucement les poils grisonnants qui recouvraient son poitrail encore ferme malgré son âge.

Et tandis que les mots continuaient de m’enivrer, j’ai glissé ma main vers son ventre qui montait et descendait à un rythme de plus en plus rapide sous la pression du désir. Et comme je m’apprêtais à soulever l’élastique de son short de bain, j’ai entendu des bruits de pas dans le couloir. Je me suis redressée d’un coup, et me suis assise sur la chaise au chevet du malade.

— Impossible de trouver un téléphone dans cette maison. Le plus simple, c’est que je retourne chez nous pour appeler les secours, tu restes là !

Je n’avais aucune intention d’aller où que ce soit. Mon corps tout entier n’était plus qu’une braise et je comptais bien éteindre le feu qui me consumait dangereusement. Dès que Clémence a disparu, le vieil homme a éclairci sa voix, il a tourné son visage vers moi et en rassemblant toute ses forces, il m’a dit :

— Pour moi, c’est fini. Je quitte ce monde en emportant cette dernière image merveilleuse de la vie. Merci.

Il souriait, sans tristesse, sans regret. Il avait l’air paisible, sincère. Son visage resplendissait d’une quiétude incroyable. Sans réfléchir, j’ai fait glisser ma culotte le long de mes jambes, sous ma jupe courte d’été. Je suis montée sur le lit à califourchon sur lui. J’ai baissé son maillot de bain de quelques centimètres, juste de quoi faire apparaître son sexe dressé vers le ciel, dans une raideur parfaite. J’ai soulevé mon bassin et sans avoir besoin de m’aider de mes mains, je suis descendue tout doucement sur lui. Son sexe glissait en douceur dans mon intimité trempée d’excitation. Il a ouvert la bouche, sans prononcer un mot. J’ai soulevé doucement mon bassin puis je l’ai redescendu, puis je l’ai monté à nouveau… De doux va-et-vient qui faisait monter l’extase toujours un peu plus profondément en moi. Je remuais à peine, contractant les muscles de mes cuisses pour descendre et monter sur lui dans un rythme lent et doux. Au bout de quelques secondes qui semblaient des heures, alors que la salive dégoulinait de ma bouche et tombait sur son ventre, tout son corps s’est raidi et j’ai senti qu’il se déchargeait en moi. Alors j’ai accéléré un peu la cadence et à mon tour, et l’étincelle a embrasé mes cuisses, mes jambes, mon bassin, mon ventre… Mon corps tout entier a joui alors qu’il poussait son dernier soupir. Quand les secours sont arrivés, c’était pour constater qu’il était mort.

Nous avons quitté la villa de l’oncle de Clémence dès le lendemain. L’ambiance n’était plus vraiment à la fête… On est rentrées à Paris et on a retrouvé nos quotidiens inchangés. Enfin, pour quelques jours seulement. Un soir, Clémence a débarqué chez moi avec une valise : elle venait de plaquer Marc. Elle souriait. De ce sourire envoutant, déroutant. Nous avons refait l’amour ce soir-là. Et le suivant aussi… Et un grand nombre d’autres encore depuis maintenant presque cinquante ans que nous vivons ensemble.

Je sens que mes forces me lâchent. Nous sommes partis en vacances dans notre maison dans le sud. Celle où nous avions fait l’amour pour la première fois. Nous l’avons racheté à la famille à la mort de son oncle. Et depuis nous y allons chaque été. Je repense chaque fois au voisin, au plaisir qu’il avait fait naître en moi. Il est là. Il se tient devant moi, au bord de notre piscine. Nous avons le même âge maintenant. Il me sourit. Il est venu me chercher.

Fin