In Vino Eros – Partie 1

« Il faut remettre les choses dans leur contexte, Madame le commissaire. »

Le petit groupe hocha la tête pour manifester son approbation et l’acquiescement général donna à Armand le courage de poursuivre.

« A première vue, tout porte à croire qu’il s’agit d’une exécution sordide en bonne et due forme, il n’en est rien. C’est un regrettable malentendu. »

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La commissaire de police Valérie Clitocibe observa le corps de l’homme allongé dans l’herbe, le visage défiguré par la salve de plomb. Au fond du trou béant qui s’étendait de la mâchoire aux arcades sourcilières, une masse informe de chair rouge et noire lui donnait des allures de volcan en activité. À côté du corps sans vie, on devinait un fusil de chasse dans le gazon. Elle pensa qu’Armand avait une étonnante conception du regrettable malentendu.

« Qui a tiré ? »

Le petit groupe resta silencieux, chacun regardant son voisin en espérant qu’il se passerait quelque chose avant d’être obligé de répondre. La commissaire fronça les sourcils. Henry sortit alors des rangs et s’avança vers la représentante de l’ordre.

«  Je m’appelle Henry Gutibrel, cette propriété est la mienne et tous ces gens sont là à ma demande. Nous étions sur le point de nous mettre à table lorsque l’incident s’est produit. Nous avons passé la matinée dans les vignes que vous apercevez ici, Madame le commissaire. Ces personnes sont venues m’assister pour vendanger. »

La commissaire Valentine Clitocibe parcourut à nouveau le groupe des yeux. Elle les compta en tachant de retenir chaque visage : neuf en tout. Dix avec le cadavre. Elle choisit une personne au hasard.

« Vous, comment vous appelez-vous ? »

Elle avait montré du doigt Éloïse Gutribel, la belle-fille du propriétaire des lieux, et aussitôt son mari s’avança pour répondre à sa place, déclinant par la même occasion sa propre identité. Ladislas Gutribel, fils ainé d’Henry Gutribel.

« Si vous souhaitez comprendre comment nous en sommes arrivés à ce fiasco, je vous propose d’interroger Maixent, mon frère. »

Ladislas jeta un regard noir à un homme derrière lui, la mine déconfite et l’œil coupable. Clitocibe observa les deux frères et admit une certaine ressemblance. Ils étaient opposés dans leur attitude, mais leurs visages avaient des traits similaires. Ladislas se tenait bien droit dans sa chemise à carreaux jaunes et son pantalon ocre tandis que Maixent était un peu plus vouté, comme portant le poids du monde sur ses épaules couvertes d’un pull kaki. Il hésita un instant puis il prit finalement la parole.

« Nous sommes tous arrivés la veille au soir. Mon frère, sa femme et quelques amis. »

Il montra trois hommes et une femme, la trentaine, le genre aisé, sportif et bien habillé. Maixent les présenta tour à tour. Il y avait d’abord Armand qui avait pris la parole un peu plus tôt, l’homme au « regrettable incident », un blond sympathique à la jovialité presque gênante dans le contexte. Ensuite, Maixent présenta Hector, un barbu musclé au regard noir aussi beau qu’impénétrable, qui alluma une cigarette, expression manifeste du besoin d’occuper ses mains. Enfin, il y avait Aimeric et Alix, un couple de la région, amis d’enfance de Maixent. Ils se tenaient côte à côte, Alix bailla quand on prononça son nom et Aimeric demanda à Maixent d’abréger car il avait à s’occuper du barbecue.

« Et lui, c’est qui ? demanda la commissaire en pointant le cadavre du doigt. »

Maixent se racla la gorge et continua son explication en ignorant sa question.

« Comme je vous disais, nous sommes arrivés hier soir, afin de pouvoir démarrer les vendanges ce matin à l’aube. Au cours du repas, nous avons mesuré l’étendu du travail qui nous attendait et avons réalisé que nous étions trop peu nombreux pour cueillir le raisin sur tout l’hectare en un week-end. Mon père a donc eu l’idée de faire appel à notre voisin pour nous donner un coup de main. Un brave homme de 21 ans, toujours prêt à rendre service. »

Les regards se tournèrent vers le cadavre et Valentine Clitocibe comprit où se trouvait le brave homme.

« Il est arrivé à la première heure et… »

Maixent s’interrompit un instant. Il passa la main sur son front, cherchant les mots adéquats.

« Il n’était pas seul. Sa jeune épouse, Corinne, est venue nous épauler également.

– Où est-elle ?

– Ici. »

Le petit groupe s’écarta et Valérie Clitocibe découvrit une très belle jeune femme assise sur une chaise, sanglotant en silence. La commissaire commençait à perdre patience. Le flou des explications et l’attitude nonchalante du groupe l’irritaient. Maixent ne remarqua pas son agacement.

« Après avoir réparti les tâches, chacun s’est retrouvé dans son allée de vignes à cueillir ses grappes. Le hasard a voulu que je me retrouve aux côtés de Corinne, dans l’herbe, et disons que… le courant est bien passé.

– C’est-à-dire ? demanda la commissaire. »

Eloïse Gutribel répondit du tac au tac à la place de son beau-frère.

« C’est-à-dire qu’il l’a sautée. »

Il y eut des murmures de désapprobations, un brouhaha de commentaires inaudibles. Henry Gutribel jeta un regard sévère de patriarche déçu sur la petite assemblée puis s’en retourna dans la maison, peu enclin à en entendre davantage. Valérie Clitocibe resta interdite.

« Tout est allé très vite… »

Maixent Gutribel était rouge de honte et l’inspecteur trouva l’occasion trop belle de le secouer.

« Soyez plus clair, Monsieur Gutribel. Que s’est-il passé exactement ?

– Et bien, je crois que Corinne m’a demandé si j’avais déjà joué au jeu du raisin…

– C’est quoi le jeu du raisin ?

– Vous glissez un raisin dans le corsage et vous tentez de le récupérer avec la bouche. À force, ça donne des idées. »

L’inspecteur regarda Corinne sur sa chaise. Les larmes avaient séché et elle souriait.

« Vous confirmez, madame ? »

Corinne éclata de rire. Un rire frais et communicatif. Elle n’était pas seulement d’une beauté saisissante. Sa peau très blanche était tendue par une chair pulpeuse et elle avait en outre cette attitude provoquante des jeunes filles qui ignorent qu’elles le sont, la poitrine généreuse débordant innocemment d’un soutien-gorge un peu juste, les cuisses dépassant d’une robe champêtre trop légère et le rire dévoilant des dents blanches éblouissantes. Valérie Clitocibe imaginait fort bien ce que cette femme pouvait déclencher chez la gente masculine.

« Oh oui, je confirme. Maixent n’arrivait pas à attraper les raisins. Par contre, il ne pouvait s’empêcher de tendre sa langue le plus loin possible pour lécher mes tétons. »

Maixent regarda ses pieds sans prononcer un mot.

« Ça chatouille, j’adore. Alors j’ai retiré mon soutien-gorge pour qu’il puisse continuer sans se tordre le cou. Ce garçon est un gourmand, il m’a littéralement dévoré les seins. Regardez. »

En un temps record, elle avait dégagé les bretelles de sa robe, celles de son soutien-gorge et sa poitrine saillante était exhibée aux yeux de tous. La commissaire en resta bouche-bée. L’assemblée regardait avec fascination ces deux mamelles parfaites, à la blancheur décadente, traversées par de fines veines bleutées. Malgré leur taille imposante, elles pointaient fermement vers le ciel, nullement déséquilibrées par l’attraction terrestre. Corinne montra un petit bleu que lui avait fait Maixent dans son élan fougueux. L’inspecteur s’approcha pour l’observer de près, comme s’il s’agissait d’une preuve nécessaire à son enquête. En réalité, elle était incapable de détacher son regard de cette perfection mammaire. Elle sortit à temps de sa torpeur fascinée alors qu’elle s’apprêtait à poser la main sur la marque laissée sur la poitrine. Valérie Clitocibe enchaina rapidement l’interrogatoire pour se ressaisir.

« Que s’est-il passé, ensuite ?

– Comme dit Maixent, à force, ça donne des idées. Mon mari venait de partir pour quelques minutes, alors j’ai dit à Maixent de faire vite. J’ai retiré ma culotte et j’ai bien vu que l’impatience le rendait gauche. Je l’ai aidé. J’ai mis la main dans son pantalon et j’ai à peine effleuré le suspect qu’il a craché le morceau, si vous voyez ce que je veux dire. »

Elle rit à nouveau de bon cœur avec la même légèreté déconcertante, ses seins bougeant doucement au rythme de son hilarité. Maixent s’assit dans l’herbe, à côté du cadavre, la tête plongée dans les mains. Le reste du groupe restait silencieux et la commissaire Clitocibe avait l’impression de rêver. Armand, homme visiblement habitué à gérer les situations de crise, voulut mettre fin à la gêne qui touchait le groupe.

« J’imagine que vous devinez la suite, madame la commissaire.

– Le mari les a surpris, une dispute s’en est suivie et le coup de feu est parti tout seul. »

Tous les visages se tournèrent vers Valentine Clitcocibe, y compris celui de Maixent, et Corinne cessa de rire. La commissaire pouvait lire l’incompréhension la plus totale sur ces figures qui la fixaient. Armand fronça les sourcils.

« Vous n’y êtes pas du tout, Madame. Ce n’est absolument pas ce qui s’est passé.

– Alors que s’est-il passé ? s’énerva la commissaire.

– Et bien, comment dire… »

Devant le regard assassin de Clitocibe, Armand alla directement au fait.

« Puisque Maixent avait échoué à satisfaire Corinne, celle-ci devait irrémédiablement avoir recours à un nouvel amant, quelque part dans les vignes, pour soulager son désir. »

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